mercredi 21 juin 2017

Sommes-nous dans un pays de police linguistique ?

Le maître d'école réunionnais peut parler en créole avec ses élèves. Mais dès qu'il veut écrire au tableau ce qu'il vient d'énoncer, d'après nos informations, il faudrait qu'il possède un laissez-passer linguistique que le rectorat appelle joliment un agrément. Ainsi, un créole Réunionnais doit être agrémentée pour transcrire sa langue maternelle. Imaginons un instant la personne hexagonale française devant recevoir un agrément pour passer de l'oral à l'écrit sur son tableau de classe. Nul ne va soupçonner les hexagonaux de mal transcrire leur oralité française. Pourtant, il semble exister un soupçon quant à la compétence d'une personne réunionnaise quant à transcrire son oralité créole. Il lui faut passer un examen de créole, en somme ! Est-ce un moyen de contournement ou d'ajournement de la question du créole à l'école, de façon à décourager les bonnes volonté qui savent intuitivement qu'il faut s'appuyer sur la pratique et la connaissance du créole pour mieux maîtriser ensuite la langue française ?

Cette police linguistique sur le territoire de l'Ile de La Réunion ne fera pas long feu, au regard de ce que des enseignants constatent. Beaucoup d'entre eux défendent une politique plurilingue, que la recherche appelle de ses vœux mais que l'institution académique tarde à généraliser. Une politique d'inclusion à La Réunion, c'est pas pour demain ! Ni même après demain... Ce qui est logique sur un territoire qui ne parvient guère à sortir d'une politique néocoloniale.

Remarques d'enseignants (fournies par un dalon) :

" Les élèves qui ne maîtrisaient pas le français c'est-à-dire qui s’exprimaient naturellement en créole et dont la langue de compréhension était le créole, étaient en échec. Ils étaient plus lents et finissaient donc par être lassés de l’activité proposée. (...) L’identité culturelle d’un élève (c'est-à-dire sa particularité, son authenticité) si elle n'est pas admise par l’École, je trouve que c’est de la violence de demander à un enfant d’oublier qui il est, pour se construire. " (...) " Il est vrai que tous les enfants n’ont pas la même représentation initiale de l’école. À la Réunion, le créole pose une difficulté de plus, car certains se réfugient dans de l’inhibition dès l’âge de 3 ans, car ils ne comprennent pas cette langue étrangère qu’est le français. Là se pose le problème de l’identité. Refuser de parler créole avec ces enfants revient à refuser d’entendre cette personne. Il est difficile de coupler l’apprentissage de la compétence numéro 1 du socle commun (la maîtrise de la langue française), priorité de l’école maternelle, et permettre simultanément la construction de la personnalité de chaque individu créolophone. Il y aura toujours frustration." (...) "On pourrait utiliser le créole comme moyen pour faire comprendre certaines notions. Certains ne comprennent pas le fait qu’il faille absolument parler français, car chez eux, on n’a pas nécessité de parler une autre langue que le créole pour se faire comprendre." (...) "Le créole est très ancré au sein de nombreuses familles réunionnaises. À cause de cela, l'apprentissage de la langue française peut parfois être beaucoup plus difficile. Les élèves ne connaissent le français qu'à l'école. Cet écart de culture et ce manque de stimulation peuvent créer des blocages langagiers." (...) "Les élèves créolophones présentaient des difficultés à s'exprimer en français et donc à entrer dans les activités dispensées dans cette langue. En revanche, lors des activités en créole, ces mêmes élèves participaient. Ce qui montre bien qu'il s'agit d'une barrière. La langue parlée à la maison, dans la cour de récréation, en famille fait partie des habitudes de l'élève. L'amener brusquement à ne pas utiliser cette langue, c'est refuser son appartenance, ses origines. Pour ces raisons, je trouve que la classe bilingue permet de pallier ses difficultés".

Affaire à méditer sur le rôle de l'enseignement à La Réunion... A suivre ?